Pris dans la tempête

Notre ami Ben (le grand Ben comme disent les filles pour les différencier; Ben de Globe c’est le petit Ben et l’autre Ben, c’est le grand Ben) je disais donc que notre ami le grand Ben nous a appelé. Sa petite famille et lui viendraient nous voir les 30-31… Calcul et re-calcul, nous planifions donc un retour à Gaines aujourd’hui pour accomplir mille et unes petites choses : douches, lavage, épicerie, ménage d’Océo et autre visite à venir entre temps.

Nous dénudons donc Zozo que nous traînons à l’arrière lors de navigations tranquilles.

Zozo tout nu, on enlève moteur, rames et accessoires
Bye bye Shelburne

Départ du fond de la baie de Shelburne vers 10h30-11h-11h30… parce que la chaîne de l’ancre était transformée en motte d’algues sur 75 pieds de chaînes!! J’ai dû aller avec Zozo à l’avant pour dépêtrer tout ça. Et sortir notre super Kobra avec 3 tonnes de glaise dessus. On était solidement accrochés! Tout augurait pour une petite nav pépère au moteur, il n’y avait pratiquement pas de vent.

Extrait du journal de bord :

« Samedi 23 juillet 2016, 22h32. Je ne sais pas quoi dire. Tout le monde est sain et sauf. Océo et Zozo vont bien. Nous sommes arrivés à notre quai vers 19h45. François était là avec Éva, les grandes étaient contentes.

Ce que nous avons traversé est comme irréel. Comme un cauchemar, donc on n’est pas tout à fait traumatisé mais… mais. Seb m’avait suggéré d’aller nous cacher à Plattsburgh quand on a vu la tempête venir. Je me disais que même si on rencontrait un petit grain, ce ne serait pas grave. On tient la barre bien solide puis ça passe. Alors on s’est engagés dans le goulot qui mène à Treadwell Bay. Respire. Soupir.

Il commence à ne pas faire beau

Des gros vents, de la grosse vague, des paquets (de lac), de la pluie, de la grêle… il y a des moutons partout, mais pas de jolis petits moutons blancs. Soudain, le vent prend Océo par le travers et le pousse très près de l’horizontale (à mon goût à moi). Les filles sont déjà à l’intérieur avec Seb, elles sont couchées ensemble dans la pointe et chantent des chansons, je ne peux pas les entendre avec ce vent qui hurle.

Je m’accroche à la barre et je focusse sur nos cours théorique : ces bateaux sont faits pour en prendre. Rester loin des obstacles et attendre que ça passe. La grêle arrive, petite puis grosse. Des balles de golf, puis de tennis. Ça pince. Je m’accroupis derrière la table du cockpit pour me protéger des grêlons qui arrivent de partout… puis je sens que quelque chose se passe… nous sommes au beau milieu d’une tornade, les vents viennent de tous les sens, les vagues ont 12 pieds de haut, Océo se met à tourbillonner sui lui-même vers la côte. Je me relève, reprend la barre bien en main malgré les éléments et je nous oriente, moteur au maximum, vers le large. Et j’espère qu’il n’y a pas d’autres bateaux parce que je me guide au GPS, le lac n’est que vagues noires et murs de pluie. Je tremble de tout mon corps, de froid, de concentration. Mais je veux faire confiance à notre Océo à qui j’ai confié ma vie. Seb revient s’assurer que je suis toujours attachée (et toujours à bord, par le fait même). Il retourne vers les filles. Mathilde lui demande : « papa, est-ce qu’on va mourir? ». Seb lui répond que non, qu’Océo est solide. C’est que ça tape fort dans la pointe avant, quand nous retombons d’une vague croisée qui nous soulève très haut dans les airs et nous laisse ensuite choir dans le fond des vagues. Soupir.

J’ai parlé à Océo, comme j’avais déjà parlé à Éclair. Doux, tout doux mon beau. Ça va bien, continue comme ça, mais non n’aie pas peur, ça va aller. Un cauchemar qui ne semblait pas vouloir finir. Puis la grêle a cessé. Les vagues sont devenues moins gargantuesques. Je suis repartie en direction du fond de Treadwell Bay. Deep Bay était remplie, les vents rafalaient encore terriblement. Nous avons jeté l’ancre derrière Thalie et mis 120 pieds de chaîne dans le sable. Ça a tenu. Le vent s’est calmé, la pluie s’est arrêtée… et j’ai pris la meilleure douche chaude de ma vie. Comme un cauchemar. Irréel. Et pourtant…

J’aurais de la difficulté à mettre en paroles ce qui s’est passé. Aucun mot ne peut rendre ce que j’ai vécu. Le sentiment de calme absolu qui m’a envahi, entièrement trahi par mes tremblements convulsifs. J’ai mené ma tribu à bon port. Seb est fier de moi. Je crois que je suis sous le choc… »

J’en ai été traumatisé pendant tout l’hiver, faisant des cauchemars assez récurrents. Je revoyais les murs d’eau noire, l’impossibilité absolue de quitter le bateau avec les enfants dans une telle tempête. Seb a téléchargé une image de ce qui nous est passé dessus. Nous n’avions pas encore d’anémomètre à l’époque mais les vents enregistrés dans les environs étaient de plus de 60 kn. Je crois que je ne le réalise pas encore, mais j’ai eu la peur de ma vie!

Au début du mauvais temps, je ris mais il fait frette en titi